SES AMIS, SES AMIES, SES AMOURS




« Ils ne m’ont pas donné le bonheur, ils m’ont fait le père de mon bonheur»

disait Joë Bousquet.


De son lit, J.Bousquet rayonnait, on venait souvent voir cet infirme pour se faire

'remonter le moral '!


J.Bousquet fut un rendez-vous permanent d'hommes de lettres, d'artistes, de 'visiteuses' venus de tous les horizons mais tous en sortaient l'amitié à la main.







Joë Bousquet, Germaine Krull et René Nelli à Villalier

Joë Bousquet, Jean Ballard, Gaston Massat et Marcelle Ballard

Francis Picabia

Magritte




Ginette Augié

Poisson d'Or

Elsa Triolet

Gala


André Gide

Paul Eluard

Louis Aragon

Salvador Dali


Max Ernst

Jean Paulhan

Paul Valéry

Simone Weil




Et bien d'autres encore...



Il détestait qu'on vît sa douleur, il ne donnait pas le spectacle de son martyre. Il n'inspirait jamais la pitié. Au contraire il était toujours prêt à venir en aide à qui le demandait et nombreux étaient ceux qui le chargeaient de leurs moindres maux, sans considérer les siens, sans mesurer son incroyable courage.


D'autre part, pendant la guerre de 14-18 il a dépensé sa vie sans compter. Mais plus tard, lors de la seconde guerre mondiale sa chambre servait de lieu aux résistants.


Concernant son entourage, J.Bousquet était doué d'un instinct de sûreté impeccable, d'une excellente faculté d'analyse. Il était capable de classer en cinq minutes l'échantillon humain qui lui était soumis, que la relation, la curiosité, les mille hasards du travail littéraire amenaient à son chevet. Presque toujours le visiteur partait séduit, surtout peut-être par la hauteur vertigineuse à laquelle parfois se hissaient les propos de son hôte, mais toujours charmé par sa bonne grâce, son aménité (André Blondel disait de lui : -J.Bousquet recevait avec une aménité égale et un bonheur visible tous ses visiteurs- ), sa gentillesse, sa facilité de dire 'OUI', à passer avec indulgence sur une erreur ou une sottise, à la corriger car la diplomatie de J.Bousquet était extrême; il avait une manière différente de dire 'Bonjour monsieur' et trouvait moyen d'exprimer en prononçant ces deux mots des nuances à peine perceptibles, de la considération ou du mépris que distinguaient aisément ses intimes.

Féminin aussi il était, jusqu'à se délecter des potins qu'apportaient ses belles visiteuses au -médisant par bonté-!


J.Bousquet fera de son infirmité une victoire de l'esprit et de son lit de torture le champ opératoire de ses méditations.


Retranché du monde dans cette chambre de province J.Bousquet devient une sorte de -révélateur- pour les artistes et les poètes de son temps :Paul Eluard, René Char, Max Ernst, Hans Bellmer (il encourage le peintre et le pousse sur la voie de l'imaginaire) Jean Paulhan, André Breton, Gaston Bachelard, Lucien Becker, René Magritte, Yves Tanguy, Salvador Dali et Gala, Joan Miro, Francis Picabia, Francis Ponge, André Gide, Henri Michaux, Paul Valéry, Jean et Stéphane Mistler, Marcelle et Jean Ballar (les 'Cahiers du Sud’).


Des échanges de pensée s’établirent avec Carlo Suarès, Jean Cassou, Jean Paulhan, Raymond Queneau, Robert Desnos, Benda, Elsa Triolet et Louis Aragon, Gallimard,…Simone Weil lui fit de nombreuses visites en 1942,elle lui récitait en anglais le poème 'Love'....Estève et Alibert furent des premiers à le visiter ainsi que René Nelli et Ferdinand Alquié, deux jeunes professeurs, philisophes en devenir. D'autres suivirent......


J. Bousquet trouva les plus fidèles amis avec James Ducellier, Adrien Gally, Jean-Baptiste Fourès, Ferdinand Alquié, Pierre et Maria Sire, Estève, Jean Lebrau, Feraud, Suzanne Nelli, Gabriel Sarraute, Pierre Cabanne, Michel Maurette,…et bien d'autres......



A ses amis, J.Bousquet se livrait tout entier : insomnies, luttes physiques, illuminations poétiques ou plastiques, cauchemars souterrains. Se définissant lui même comme « une réduction à zéro de la condition humaine » , il était le relais du monde.

  • Au poète André Breton, il déclare « Vous avez amené l'esprit à se manifester comme un pouvoir incalculable de matérialisation ».

  • Jean Paulhan, son vieil ami trouve refuge en 1940 à Villalier.

  • Avec René Nelli dans les années 1928-1930 et jusqu'en 1950 il a pris une part active à l'élaboration de ce qu'on a appelé parfois le surréalisme méditerranéen. Ce mouvement se développait alors, un peu en marge du surréalisme parisien, à Marseille autour des -Cahiers du Sud- et à Carcassonne autour de la revue -Chantiers-.

    Il trouve assez d'énergie pour encourager le peintre Hans bellmer, angoissé, défaillant, et il le pousse sur la voie de l'imaginaire, hors de la pensée conceptuelle «Il s'agit d'un nouvel espace à ouvrir dans l'espace ».

  • Un jour son lit prend feu. Tout en éteignant l'incendie, il se rappelle un tableau de Magritte, qui l'avait dessiné dans ce même lit, naufrageant dans l'eau et le feu. Et, brûlé il écrit au peintre surréaliste, avec humour : « En un instant j'ai habité un Magritte! ».

  • René Magritte et J.Bousquet se sont connus à Carcassonne en 1946. La passion du poète pour la peinture surréaliste était vive et il s'ensuivit une brève correspondance d'une densité particulière.

  • Il écrit à Max Ernst, son meilleur ami en qui il voyait l'incarnation de son temps « Tes yeux sont faits pour imposer la preuve que tu es l'oeuvre de la nuit ».

  • Max Ernst disait de lui « Son regard intériorisé tirait les autres au clair ».

  • Lorsque le 27 Mai 1918, J.Bousquet tomba sous les balles des allemands, ce même jour Max Ernst était en face, côté allemand, exactement au même endroit. Bien plus tard ils se racontèrent souvent cette histoire. Peut-être Max avait-il tiré sur Joë et en le blessant lui avait redonné la vie ? ( entretien de Joseph Rouzel avec Ginette Augier à Réalville, le 27 Février 1987).


Autant d'amitiés, de rencontres, qui se nouent et se resserrent au fil des lettres et au gré des visites. Une partie de jeunesse littéraire et artistique, autour de la guerre et dans l'après-guerre a défilé à son chevet. Tous lui sont redevables d'un conseil, d'une parole qui fortifie.Il accueillait les inconnus et il excellait à détecter un talent, une flamme....Autant d'amour aussi avec des femmes imaginaires ou réelles, rêvées et imaginées : Ginette Augier, Poisson d'Or, Marthe, Didi, Béatrice, Annie, .....Il leur donne des surnoms poétiques : Isel, Hortie, Blanche-par-Amour, Houx-rainettes, Abeille d'hiver...

Abeille d'hiver était une amie d'enfance de J.Bousquet. Au rendez-vous de cinq heures, lorsque les visiteurs arrivaient, on la trouvait déjà debout, prête à partir. Elégante et racée, elle s'en allait discrètement par une porte en apparence dérobée, qui était tout simplement celle des familiers et de la garde.

L'élégance de Blanche-par-Amour était plus affectée. Elle ne dérogeait point au rendez-vous de cinq heures. Le fait même de faire craquer une allumette et de la tendre au grabataire pour allumer sa pipe d'opium, prenaient dans le silence de la chambre un sens profond (Michel Maurette).



J.BOUSQUET ET LES FEMMES

L'amour est le thème qu'il a le plus décliné, romantique, éternel, destructif, passionné.....Il étudie les mouvements de son coeur dans ses moindres sursauts, il analyse la naissance de ses sentiments, les raisons, les effets, la sublimation....

Cet homme était aimé de toutes les femmes qui l'approchaient et les lettres publiées par Michel Maurette en témoigne dans 'J.Bousquet et la passion amoureuse'.A certaines des femmes aimantées par son rayonnement 'd'ange enseveli', il envoie des lettres séduites autant que séductrices.

  • Il écrit à Marthe de magnifiques lettres d'amour. Elle ne viendra jamais le voir à Villalier. J.Bousquet rencontre Marthe Marquié en 1917 à l'Opéra de Béziers. Il était soldat, en permission, il l'a revit au cours d'une autre permission. Mais ce bonheur allait être suivi de tourments. Marthe était en instance de divorce (issue d'une famille de la haute bourgeoisie biterroise, elle avait épousé un notable de la ville) et J.Bousquet voit d'insurmontables obstacles à tout projet de mariage : la famille, les préjugés d'une société austèrement provinciale, tout les éloigne. Aussi il s'expose à l'attaque allemande du 27 Mai 1918. La correspondance entre J.Bousquet et Marthe quand il était au front est perdue mais à partir de 1919, ils recommencèrent à s'écrire. Ces lettres sont mieux qu'une autobiographie. Les rêves, les joies, l'espoir, les doutes, les reproches, la jalousie, les mille facettes d'une sensibilité exceptionnelle composent une poignante confession. Cet amour était condamné, les deux amants vaincus par un malheur qui les dépassait, se séparèrent finalement après avoir rêvé l'un à l'autre pendant près de neuf ans. Ils se revirent beaucoup plus tard, quand Marthe vint présenter son mari un sculpteur biterrois (avant-propos de Robert Blattès/ Lettres à Marthe 1919-1937).

  • Durant la nuit complice, une jeune villageoise se glisse dans la chambre. Elle avoue son amour. Elle se nomme Didi. J.Bousquet attendra cette 'jeune morte' dans le pavillon de Villalier qui servit de refuge à leurs amours. Didi inspire 'Il ne fait pas assez noir'.

  • En 1929, Annie séjourne quelques jours dans la propriété mitoyenne de l'Evêché, elle a retrouvé des amies. Avec quel plaisir on franchit le pont du Béal! Il est vrai que les chaperons ne les quittent jamais. J.Bousquet accueille les jeunes filles avec tant d'empressement que l'ami Ducellier propose une promenade en Bugatti. Les Duègnes s'indignent. La gratitude J.Bousquet leur vaudra un surnom! ....Il ne suffira que de se retrouver seuls, dans la tonnelle au fond de la prairie, pour que J.Bousquet déclare son amour à Annie. L'itinairaire du 'Rendez-vous' paraît déjà fixé.

Avec Annie, ils sont tous deux les fruits de cette bourgeoisie déchirée entre la fierté et l'inquiétude en face de ses -enfants terribles-. La lecture de 'La Fiançée du Vent' a souvent troublé les rêveries de l'adolescente dans le dortoir du couvent. La femme-enfant découvrait l'amour, plus somptueux encore qu'elle ne l'avait imaginé 'c'est ton amour qui m'a mise au monde et qui me prend la vie' écrit Annie, lui écrira 'Tu n'es pas dans ma vie, elle me vient de toi, je n'existe que pour la surprise de naître à chaque instant de la femme que tu es'.

    La surnommée 'Poisson d'Or' sa fière et sensuelle amie recevra les plus ferventes. Il y a quarante ans paraissaient les magnifiques « Lettres à Poisson d'Or » que le poète avait adressées à la jeune femme dont il était tombé éperdument amoureux. Le soir venu, il délaisse ses cahiers bleus, rouges et verts pour écrire dans des recueils couleur noire des récits quelquefois érotiques.


Jérôme Garcin raconte dans son article . Elle a 21 ans et c'est le plus bel âge de sa vie. En Juillet 1937, Germaine fête son anniversaire dans le salon de James Ducellier à Carcassonne. Parmi les invités, il y a un homme paralysé, que ses amis, pour le sortir de sa grotte de papier et lui faire respirer l'air du bonheur ont porté à bout de bras. Il a 40 ans. C'est J.Bousquet le survivant. Il a le sentiment d'une apparition. Il la baptise 'Poisson d'Or, parce que 'les golden fishes' sont l'attribut magique de ces fées blondes au buste nu que toute sa vie il a cherché. Le 1er Août 1937, il lui écrit une première missive « Je voudrais vous rendre un peu de cette lumière que vous avez allumée dans mon crépuscule. Si mes lettres ne vous ennuient pas trop, je vous raconterai des histoires ».

C'est le début d'une correspondance amoureuse qui va durer pendant 12 années. Elle est scandée par les visites que la jeune femme lui rend. Mais il la préfère loin, seule la distance lui permet en effet de sublimer cet admirable, cet impossible amour. Et puis, en 1946, il se reproche soudain de ne pouvoir offrir aucun avenir à Germaine, sa -chère petite-, son -enfant chérie- et s'en veut de lui inspirer une passion que seule la correspondance donne l'illusion d'assouvir. Dans une ultime lettre, datée de 1949, il enjoint celle qu'il a 'le plus aimé' de se marier au plus vite et lui demande de ne jamais oublier que, loin d'elle « une petite lampe brûle toute la nuit au chevet d'un homme qui a eu besoin de toute sa force pour voir en elle une image du bonheur »

'Poisson d'Or' se marie donc en Avril 1950. Cinq mois plus tard J.Bousquet s'éteint.....En Avril 2006, celle qui a inspiré le plus fervent des livres vit toujours. On ne trouve son nom dans aucune biographie de J.Bousquet, elle a aujourd'hui 90 ans et habite Paris. ELLE N'A RIEN OUBLIE !

En 1967, Germaine donne toutes les lettres que J.Bousquet lui a envoyées à Jean Paulhan, elle ignore ce que ses propres lettres sont devenues. Elle pense aujourd'hui « que le temps est le coeur des amours sans tache ».Elle est très discrète sur son passé. Mais pour avoir sauvé des juifs pendant la guerre, Israël lui a remis la médaille des Justes et la France la Légion d'Honneur mais son plus beau titre c'est celui dont un homme, qui avait survécu à son corps et croyait aux sortilèges de la littérature, l'a gratifiée pour l'éternité : 'POISSON D'OR'.


Extrait d'un article du peintre Pierre Cabanne paru dans la Dépêche du Midi le 29 Septembre 1950. J.Bousquet est décédé la veille, Jeudi 28 Septembre d'une crise d'urémie.

« L'adieu d'un ami

Ce n'est pas un deuil des lettres, mais la rupture brutale de l'amitié. Ce matin, J.Bousquet est mort; le poète est rentré dans le grand mystère immobile, au seuil duquel il nous laisse avec ce qui de lui chante en nous que nous disons à voix basse comme des déclarations d'amour. Le souvenir de sa voix, de son accueil, de sa bonté, le souvenir combien émouvant de la plus belle leçon de courage qu'on puisse recevoir...Je pense, moi qui ne pourrai y assister, à ce qu'il eut écrit de cette étrange promenade au pas lent des chevaux attelés et de cette hésitation devant quoi ses amis se refusent à mesurer l'étendue d'une perte. Je pense à cette matinée d'automne, où, mort, il entrera dans le nouveau jardin, avec ses monuments baroques, ses stèles, ses fleurs séchées, ses couronnes en perle, ses cyprès, l'Aude, les vignes rouges, les arbres qui perdent les feuilles doucement, la Cité qui a l'air d'un décor de carton, et le Païchérou où l'on danse l'été sous les platanes...Il y aura même des chansons pour quelques-uns, ce n'est pas impossible, les poètes font des miracles, mais nous serons seuls comme nous ne l'avons jamais été depuis qu'on nous laissait dans notre berceau pleurer pendant de longues heures. »


Extrait d'un article de René Descadeillas paru dans la Dépêche du Midi le même jour en hommage à J.Bousquet disparu.

«  Si on a souvent, si on a beaucoup parlé de J.Bousquet écrivain, si on a mis à l'honneur son intelligence et son talent, on n'a peut-être pas parlé aussi souvent d'un autre côté de son caractère, celui par lequel il est le plus estimable, celui par lequel ceux qui l'ont intimement connu l'aimèrent le plus.

    J.Bousquet était bon; on ne peut savoir quels trésors de charité il recelait. Cette charité, il la faisait sans ostentation, dans la pénombre où il avait voulu vivre. Blessé et malade, il inspirait les confidences et nul mieux que lui savait trouver le mot qui console et apaise. Nul n'était plus généreux. Combien de fois ses amis n'intervinrent-ils pas pour l'empêcher de prodiguer des libéralités à quelques-uns qui n'en étaient pas dignes ? Méprisant l'argent, bien qu'il ne fût pas riche, il était capable de se priver d'un tableau ou d'un livre pour secourir. N'osait-on pas confier avouer la gêne ou la détresse? Il la devinait, guidé par une intuition toute féminine. Il ne se trompait jamais ».